Interview d’Olivier Duclos – Laboratoires Cristers

By Published On: 10 octobre 2023

Olivier Duclos,

Directeur Général – Pharmacien Responsable chez Cristers

Acteur sur le marché des médicaments génériques depuis 2006, Cristers s’est bâti un nom et une réputation en associant un modèle coopératif et équitable avec une production majoritairement française et européenne.

« Génériques, an 1 » faisait la une de Pharmacie Rurale en 1999. Quel regard porte le laboratoire Cristers sur ces 24 dernières années de médicaments génériques ?

Un regard globalement très positif. Le médicament générique en France a commencé par des combats. D’abord sur l’équivalence d’efficacité et de sécurité, ensuite sur le droit de substitution, sans lequel le générique n’aurait jamais réussi à s’implanter si bien (7 médicaments remboursés sur 10 vendus en France sont des génériques). Aujourd’hui, le médicament générique est entré dans le quotidien de tout le monde, donc les combats n’ont pas été vains. Ils représentent une économie annuelle de 2 milliards d’euros et sont par conséquent devenus indispensables pour l’économie de notre système de santé et le financement de l’innovation médicale.

Mais l’avenir n’est pas forcément des plus radieux pour des raisons économiques. Les laboratoires sont mis sous pression par les baisses de prix, mais aussi, depuis peu, par la fin de l’exonération de  contribution M pour les médicaments génériques. Elle représente plus ou moins 5% du chiffre d’affaires du segment en France, soit l’équivalent du résultat d’exploitation moyen des laboratoires sur le marché du générique. Pour faire face, il n’y a malheureusement pas de miracles. Soit les laboratoires vont abandonner certaines références faute de rentabilité, soit les remises accordées aux officines vont devoir être revues à la baisse, encore une fois pour certaines molécules seulement.

Du côté de Cristers, Laboratoire français détenu par la Coopérative Welcoop depuis 2008, nous exploitons 90% des molécules du top 100 et avons mis en place un système coopératif ou les pharmacies sont propriétaires de leurs médicaments génériques. Notre système de dividendes est particulièrement équitable et conçu pour toutes pharmacies et notamment pour les petites pharmacies, y compris en milieu rural. Donc un succès sur les 25 dernières années, mais une vigilance sur la rentabilité, et sur la fragilité potentielle de certaines références.

Une étude récente réalisée par Mordor Intelligence annonce le segment des génériques injectables promis à une forte évolution dans les années à venir. Avez-vous pour ambition de vous développer sur ce segment également ?

Cela va avant tout dépendre du marché. Notre modèle coopératif est axé autour des pharmacies d’officine, ce qui dicte notre politique de développement. Si les molécules tombant dans le domaine public sont majoritairement destinées aux pharmacies hospitalières, nous ne les ajouterons pas à notre catalogue. En revanche, si ces médicaments sont destinés aux pharmacies de ville, nous élargirons notre portefeuille.

Le problème est le même avec les bio similaires pour lesquels nous attendons, comme les pharmaciens d’ailleurs, le cadre réglementaire favorable.

Pensez-vous que certains segments sont amenés à davantage se développer que d’autres dans les 10 prochaines années ?

Les médicaments biosimilaires (diabète et anticoagulants) sont incontestablement promis à un avenir radieux, pour peu que le cadre réglementaire soit favorable. Cela rappelle les batailles menées en amont des premiers médicaments génériques. Je me permets d’associer biosimilaires et génériques car, d’un point de vue économique, ces deux familles sont très proches.

D’autres secteurs sont amenés à poursuivre leur croissance, déjà positive. Je pense par exemple aux médicaments anticancéreux ou pour le traitement de l’asthme.

D’après votre site Internet, vous semblez attaché à la production française, majoritaire chez Cristers. Sentez-vous les officines avec lesquelles vous travaillez particulièrement sensibles sur ce point ?

Privilégier la production française, ou à tout le moins européenne est dans l’ADN de Cristers. Avant les pénuries de 2022 – 2023, Cristers était déjà soucieux de la souveraineté de la production. Donc tout naturellement, les pharmaciens avec qui nous travaillons sont soucieux de ce point.

Mais plus que la production, c’est le stock dédié au marché français qui séduit les pharmacies. Contrairement aux laboratoires internationaux, qui peuvent opérer des arbitrages en expédiant une partie de la production dans les marchés plus lucratifs, nous dédions tout notre stock aux pharmaciens français. Dans les périodes de turbulence, cela permet de diminuer la hauteur de la vague, sans toutefois la supprimer.

Cet engouement se ressent avec le nombre d’ouvertures de comptes chez Cristers depuis quelques mois. Il n’a jamais été aussi haut, preuve que notre modèle séduit.

Ne craignez-vous pas que le plan de relocalisation de la production annoncé en juin dernier par le gouvernement puisse faire du « Made in France » une norme, ce qui ne vous permettrait plus de vous positionner en leader sur ce point ? 

Le made in France sera peut-être un simple label, difficile à normer. Et puis, avec mon regard d’industriel, je vous dirai que relocaliser la production en France ne se fera pas en quelques mois. Même si l’idée est excellente, il va falloir beaucoup de temps et d’argent avant d’y arriver. Enfin, on ne peut raisonnablement pas détruire la politique européenne du médicament au profit d’un label de ce type.

Mais au-delà de la production de médicaments, c’est la production de principes actifs, aujourd’hui majoritairement asiatique qu’il faudrait relocaliser. Cela représente un véritable enjeu pour le futur.

Chez Cristers, nous continuerons à privilégier la production française ou européenne. Nous avons à ce jour 40% des médicaments fabriqués en France, 35% en Europe et 25% ailleurs dans le monde. Nous continuerons à travailler en ce sens. C’est ce que j’appelle un choix citoyen.

Cristers a eu une actualité chargée en ce début d’été en signant deux contrats avec des répartiteurs. Cette politique est-elle amenée à se poursuivre dans les mois qui viennent ?

C’est une belle actualité, c’est vrai. Ces deux partenariats sont importants et nous assurent maintenant une couverture française complète. Nos médicaments sont dorénavant disponibles partout en France, même dans les régions où notre diffusion était un peu plus confidentielle. Cela répond à notre ambition de servir toutes les pharmacies de la même manière où qu’elles se situent en France et quelle que soit leur taille.

Le partenariat avec la CERP Rouen nous paraissait important pour de nombreuses raisons, la première étant qu’ils font partie des leaders de la répartition en France. Mais au-delà de l’aspect commercial, ce partenariat initie une synergie de deux modèles coopératifs forts.

Notre pénétration dans le marché va ainsi pouvoir continuer, nous offrant la possibilité de faire connaître notre modèle vertueux. Il demeure, selon moi, indispensable à la survie de la pharmacie et du maillage territorial en participant à son renforcement. Il constitue également un moyen efficace pour les plus petites officines de conserver une bonne rentabilité et de lutter à armes égales avec les plus grosses officines.

Propos recueillis par Guillaume Breuzé