Interview de Jamel CHENIOUR – Medadom
Si la téléconsultation, seule, ne peut résoudre entièrement la désertification médicale, elle constitue une solution de proximité pour les patients tout en valorisant le rôle du pharmacien dans le conseil et l’accompagnement. Entretien avec Medadom, le leader du secteur agréé par le Ministère de la santé.
Selon le ministère de la Santé, 75 % des pharmacies seront équipées en 2025 de bornes de télémédecine. Aviez-vous, lors de la création de Medadom, anticipé un tel engouement ?
Medadom a d’abord été un service de téléconsultation, créé en 2017 par deux médecins et un ingénieur polytechnicien qui souhaitaient mettre la technologie au service des patients et faciliter la prise en charge médicale. En 2018, le modèle de la société a évolué vers de la téléconsultation exclusive. Une levée de fonds de 40 millions d’euros effectuée en 2020 a permis de répondre sur la durée à la demande des pharmacies qui souhaitaient s’équiper d’une borne ou d’une cabine de téléconsultation. Nous avons investi massivement pour développer les produits et dispositifs de téléconsultation, d’une part, et la plateforme qui met en relation les patients et les médecins sans rendez-vous. Bien évidemment, nous avons également investi dans l’humain, en renforçant les équipes de Medadom. Aujourd’hui, 1 000 médecins salariés dédient du temps à la téléconsultation. À ceux-ci s’ajoutent les équipes internes qui permettent le bon fonctionnement de la plateforme, le déploiement et la maintenance de nos dispositifs.
Nous sommes aujourd’hui l’acteur principal avec plus de 5 millions de téléconsultations réalisées et 5 000 dispositifs déployés.
Après les dispositifs de télémédecine générale dans les pharmacies, Medadom propose depuis 2022 des dispositifs dédiés à l’ophtalmologie implantés chez les opticiens. Certes, ces lieux sont particulièrement adaptés car pourvus en professionnels de santé, mais peut-on y voir une volonté de déplacer la consultation médicale sur le lieu de vente final ?
La phase pilote de la téléconsultation ophtalmologique a débuté en 2021. Depuis 2022, nous opérons une montée en charge auprès des magasins d’optique. Aujourd’hui, il y a près de 200 magasins équipés. Le fonctionnement diffère un peu de celui de la médecine générale. Le patient a un premier échange avec un orthoptiste à distance qui prend en main les machines de contrôle de la vue et réalise les examens avant de laisser la main à un ophtalmologue qui contrôle l’ensemble. L’idée était de pouvoir proposer une solution de téléconsultation avec la présence, si nécessaire, d’un professionnel de santé sur place. Cela répond bien évidemment à la volonté de faciliter le parcours du patient, en évitant qu’il ait à se déplacer par la suite dans une autre structure pour obtenir, si nécessaire, leur prescription. Je rappelle qu’il n’y a aucune obligation pour le patient de prendre sa prescription sur le lieu de téléconsultation, que ce soit en magasin d’optique ou en pharmacie.
Faciliter le parcours patient est donc au cœur de vos préoccupations ?
Absolument. Les délais d’attente sont de plus en plus longs, que ce soit en médecine générale ou en ophtalmologie. Pour ces derniers, il y a en moyenne 65 jours de délai, voire plus s’il est conventionné secteur 1. Avec Medadom, la mise en relation entre le médecin et le patient est en moyenne de 15 minutes.
Concrètement, comment se déroule le processus d’onboarding pour une officine qui souhaite demain implanter un espace de télémédecine ?
Premièrement, nous allons échanger avec le titulaire sur les besoins de la pharmacie, les prérequis et la disponibilité d’un lieu dédié à la téléconsultation répondant aux critères de la HAS (un lieu fermé, sécurisé et confidentiel). Si ce n’est pas le cas, la pharmacie peut opter pour une cabine de téléconsultation qui est un lieu de confidentialité en soi. Les autres prérequis seront la disponibilité d’un branchement électrique et d’une connexion internet, de préférence filaire.
Nous allons ensuite accompagner la pharmacie dans la communication à mettre en place à destination des patients mais aussi des médecins, à proximité de la pharmacie, s’il en reste, ou au sein de la CPTS si l’officine en fait partie.
Vient ensuite le volet économique puisque nous pouvons accompagner les officines pour obtenir l’aide à l’équipement de 1 225 € et la rémunération forfaitaire pour l’assistance à la téléconsultation d’un montant maximum de 750 € par an.
Enfin, il y a le côté médical, avec une formation initiale permettant au pharmacien de trier les patients et de les orienter, ou non, vers la téléconsultation. À celle-ci s’ajoute une formation à l’utilisation des objets connectés médicaux, à l’entretien et au nettoyage de la cabine ou de la borne.
Quel est le budget d’une solution de téléconsultation en officine, location du dispositif y compris ?
Les tarifs de base sont de 215 € par mois pendant 39 mois pour une borne ou une console de téléconsultation et de 420 € par mois pendant 48 à 60 mois pour une cabine. Ce tarif comprend la livraison, la formation, l’accompagnement précédemment évoqué ainsi que la maintenance. C’est une offre clé en main sans surcoût. Je parle de tarif de base car nous avons des conditions tarifaires négociées avec plus de 90 groupements de pharmacies. À la fin de la période de location, le pharmacien est libre de renouveler son contrat, de changer d’offre ou même de résilier.
D’après l’URPS Pharmaciens, la présence d’un pharmacien améliore de 40 % la qualité de la téléconsultation. Seulement aujourd’hui, les pharmaciens d’officine soulignent le temps que demande l’accompagnement des patients dans les cabines, que ce soit pour la partie administrative, surtout si ce sont des personnes âgées ou l’assistance aux prises de mesures. Comment concilier ce besoin avec les journées déjà très remplies des pharmaciens d’officine ?
Je vais avoir plusieurs éléments de réponse. En amont, il y a l’importance de la formation, notamment sur les cas d’exclusion, pour gagner en efficacité dans le flux de patients qui se présentent.
Les patients moins à l’aise avec la technologie demanderont un temps supplémentaire pour la première téléconsultation. Il pourra être nécessaire de les assister dans la création d’un compte par exemple. Mais une fois cette opération effectuée, les téléconsultations suivantes seront plus rapides. Finalement, les patients peu à l’aise avec l’informatique ne demanderont du temps qu’à la première téléconsultation.
Enfin, il y a certains dispositifs comme l’otoscope qui sont un peu plus compliqués à gérer et où l’aide du pharmacien fait gagner du temps et de la précision.
Globalement, l’adoption d’un dispositif de télémédecine en pharmacie requiert du temps, mais ce n’est pas un temps perdu pour le pharmacien. C’est un temps d’échange privilégié, de connexion avec sa patientèle. Il va renforcer le lien avec ses patients en les accompagnant du diagnostic à la délivrance. Selon nous, ces dispositifs permettent au pharmacien de renforcer son rôle de conseil, d’accompagnement.
Bien évidemment, une revalorisation de la rémunération forfaitaire ou alors un déplafonnement de cette dernière serait aussi un levier d’amélioration permettant au pharmacien de gagner en rentabilité.